Le Statut général des militaires n’est pas un poème patriotique. C’est une loi — la
L/2019/0041/AN du 9 décembre 2019 —, écrite pour protéger la République contre les
ambitions des armes. Et cette loi est sans ambiguïté.
L’article 10 stipule : « Tout militaire en activité doit démissionner avant de briguer un
mandat électif. »
L’article 8 ajoute : « Il est interdit à tout militaire de prendre publiquement position sur
des questions politiques ou de défense, quel que soit le canal utilisé, y compris les
réseaux sociaux. »
Et pour ceux qui aiment les petits caractères, l’article 152 précise : « La démission n’est
effective qu’après un préavis de soixante (60) jours à compter de la réception de la
demande par l’autorité compétente. »
En langage simple : un général qui veut se présenter à une élection doit déposer sa
démission deux mois avant d’ouvrir la bouche. Or, à quelques jours de la clôture des
candidatures, Mamadi Doumbouya n’a quitté ni la tenue, ni le trône. Il continue
d’incarner à la fois le chef de l’État et le chef des armées, cumulant le pouvoir, la force et
la propagande. Pendant ce temps, ses préfets et ses délégués spéciaux se bousculent pour
lui offrir 368 parrainages, au nom d’un candidat encore en uniforme.
Voilà donc un militaire qui veut être élu avant même d’être éligible. Un arbitre qui entre
sur le terrain sans déposer le sifflet. Un soldat qui dirige le scrutin qu’il veut gagner. Et
un peuple à qui l’on demande d’applaudir l’illégalité comme un acte de bravoure.
Mais la loi n’a pas été écrite pour flatter les ambitions d’un général. Elle a été écrite pour
les contenir.
La Constitution, taillée sur mesure, a supprimé la clause d’inéligibilité des membres de la
junte. Mais elle n’a pas abrogé le Statut général des militaires. La hiérarchie des normes
reste la même : nul ne peut se prévaloir de la Constitution pour violer une loi existante,
surtout quand cette loi vise à garantir la neutralité des forces armées.
Et c’est bien cette neutralité que le général piétine allègrement. Pendant que les partis
historiques comme l’UFDG et le RPG sont suspendus au nom de l’ordre public, le
candidat-président politise les casernes, utilise les mairies comme comités de soutien et
transforme les délégués spéciaux en supplétifs électoraux. Le pays entier assiste à une
campagne d’État déguisée en campagne électorale.
Sur fond de mise en scène, une machine de propagande visible partout se déploie : rallies
de masse, affichage massif, chansons et slogans d’allégeance, banderoles et tribunes
publiques. Un appareil de communication étatique est mobilisé pour porter l’image du
chef de la transition, tandis que l’opposition reste réduite au silence.
Cette propagande n’est pas gratuite : elle coûte — et le coût est supporté par un État dont
la gouvernance financière est déjà pointée du doigt. Des rapports et analyses soulignent la
persistance de pratiques de corruption et de gestion opaque des ressources publiques en
Guinée, un terrain propice à la dilapidation ou à l’affectation clientéliste du patrimoine
national. Ces fragilités économiques et institutionnelles expliquent en partie comment des
opérations de communication et de mobilisation peuvent s’accompagner d’une
distribution de ressources à grande échelle.
Même si Doumbouya déposait sa démission aujourd’hui, le délai de 60 jours prévu à
l’article 152 ferait de lui un militaire en service actif le jour du vote. Autrement dit, un
candidat en infraction, un président en treillis qui s’offre une élection sans avoir rendu les
clés de la caserne. Si ce n’est pas un coup d’État électoral, c’est du moins un plagiat
habile du concept.
La Guinée avait cru à la refondation. Elle découvre la réédition : même uniforme, même
discours, même appétit. Le chef de la transition voulait « rendre le pouvoir au peuple » ;
il s’apprête à le récupérer pour lui-même, avec la bénédiction de ses propres institutions.
Ce n’est plus une transition, c’est une transfusion de pouvoir, où le donneur et le receveur
ne font qu’un.
Le 28 décembre, le peuple ne votera pas entre un civil et un militaire. Il votera entre la loi
et le déni.
Et si, malgré tout, ce scrutin venait à consacrer la victoire du général encore en service, il
ne faudra pas parler d’élection, mais d’opération de reconduction. Une manœuvre
tactique sous uniforme constitutionnel.
Le général voulait sauver la République ; il s’apprête à l’enterrer sous les drapeaux.
Alpha Issagha Diallo
Pamphlétaire à mèche courte, témoin du réel, rescapé du bon sens.